samedi 20 avril 2013

Le Docteur est malade

On est tous d'accord, un bon médecin est celui qui prescrit beaucoup de médicaments, et beaucoup d'examens complémentaires.

Oh, hé, pas la peine de vous la jouer "Grands Dieux non pas du tout, qualités d'écoute, relation de confiance, humanité, qualité du diagnostic", on sait très bien que ce n'est pas vrai.

Entre un médecin qui vous dit : "votre mal au bras, c'est une tendinite, ça va passer tout seul", et celui qui vous dit "ça va passer tout seul, mais par sécurité je vous prescris une échographie, et puis une crème", honnêtement, lequel vous choisissez ? Franchement, un médecin qui vous laisse partir sans ordonnance, c'est pas sérieux. Je sais très bien que vous pensez comme ça, pas la peine de vous cacher...
  

Cette version du bon médecin, c'est ce que les patients pensent. Les médecins, eux, ils savent mieux ce que c'est, un bon médecin. Ils savent qu'un bon médecin, il n'a pas besoin de dormir, de manger, et il n'est jamais malade. Parce que dormir, manger, et être malade, c'est une faiblesse de patients. Nous, on est bien au-dessus de tout ça.
C'est pour ça qu'on arrive à être fiers de bosser 36h sans s'arrêter (j'imagine un pilote d'avion qui fanfaronnerait sur le fait qu'il enchaîne sa 30ième heure de travail consécutive. Est-ce qu'on l'admirerait ?), ou de déjeuner à 16h, ou mieux encore, de ne pas déjeuner.
De ce point de vue là, je suis un très mauvais médecin. Si je ne dors pas mes 8 heures par nuit (allez, disons 7h, mais c'est bien parce que c'est vous), et que je ne mange pas toutes les 2 heures 4 heures, je suis inefficace, grognon, et dangereuse.

Par contre, c'est vrai, je ne suis pas souvent malade. Je ne sais pas très bien pourquoi. Contrairement à ce que les patients pensent, ce n'est pas parce qu'on prend des super médicaments quand on commence à être malades au lieu de laisser traîner comme les patients. Ca n'existe pas des médicaments comme ça. Quand je suis malade, j'attends, en essayant vaguement de tasser les symptômes. Peut être que du coup, la maladie prend moins d'importance. Je sais comment ça vient, et comment ça part. J'attends, et puis ça part. En soi, je ne suis pas moins malade, mais je ressent moins la maladie, ce qui revient peu ou prou au même.

Cela dit, ça a un intérêt certain, en consultation, d'avoir le nez bouché, de parler comme Donald, et d'avoir, même, une bonne toux bien dégueulasse. Parce que quand un patient a la même chose en face de moi, je n'ai pas besoin d'un long discours pour le persuader qu'il n'y a pas de traitement miracle. Je me contente de dire que s'il y en avait un, hein, et bien je l'aurais pris. En ponctuant ça d'un beau bruit de bronches pleines de mucus bien collant. Il n'insiste pas pour avoir son sirop-contre-la toux-parce-que-sinon-à-chaque-fois-ça-tombe sur-les-bronches.


 

  
Ne rien faire quand on a une "petite maladie", c'est d'ailleurs un très bon moyen de ne pas se retrouver avec une plus grosse sur la tronche.



Prenez le mal de dos par exemple. Si je n'étais pas médecin, je pense que j'irais régulièrement chez le médecin parce que j'ai mal au dos (j'ai régulièrement mal au dos, rapport au fait que je préfère regarder des séries sur mon canapé plutôt que faire du sport, alors que je sais que je n'ai pas mal au dos quand je fais l'inverse).
 
Le médecin, à un moment, il en aurait eu marre de me voir régulièrement, alors pour me soigner (et parce que c'est un bon médecin, donc il prescrit beaucoup d'examens complémentaires) il aurait fini par me prescrire un scanner. 

Et surement, je découvrirais que j'ai des hernies discales. J'espère bien que j'ai des hernies discales. 90% des gens en ont, alors je vois pas pourquoi moi je n'en aurais pas. J'ai cotisé toute ma vie, moi, Madame, alors j'y ai bien droit, à mes hernies discales. 
 
Et bien j'aurais l'air maligne après, avec mes hernies discales. Il ne me resterait plus qu'à me lamenter sur mon canapé à propos de mes hernies discales, en remplaçant les séries par la consultation assidue des forum de Doctissimo, et je serais bien plus malade que je ne l'étais initialement. 
 
Pas de bras, pas de chocolat, pas de scanner, pas de hernie.







Cependant, ignorer les "petits bobos" est peut être une stratégie payante, mais tout de même, de temps en temps, les médecins se retrouvent bel et bien avec des vraies maladies sur les bras, de ces maladies qu'on ne se souhaite vraiment pas. 

Et ça, c'est compliqué. Devenir un patient face à ses confrères médecins, déjà, ce n'est pas si simple. Mais récemment, j'ai pris conscience que devenir patient face à ses propres patients, là, ça devient franchement complexe.
J'ai remplacé pendant plusieurs mois un médecin en arrêt maladie, pour une cochonnerie dont on guérit éventuellement, mais qui se soigne méchamment. Un cancer, pour ne pas citer son nom. 



 
Les patients de ce médecin ont montré leur peine réelle face à ce qui lui arrivait, me demandant régulièrement de lui transmettre leur amitiés et leurs vœux de prompt rétablissement.
Mais au-delà de ces gentilles, et je pense très sincères, paroles, j'ai senti une fêlure. 

 

Le Docteur était malade. Le para-tonnerre foudroyé. 

J'ai senti dans les regards des patients une certaine crainte. Si ça arrive même à mon Docteur, alors rien ne peut réellement nous épargner l'enfer, rien ne peut garantir notre salut.

Et puis le doute, tout de même. S'il tombe malade, ce Docteur, vraiment malade, est-ce un bon Docteur ?

Un Docteur malade, c'est un peu un curé adultère, un pédopsychiatre parent d'un psychopathe, le président de Total en panne d'essence sur l'autoroute, d'une certaine façon.

Un peu l'hôpital qui se fout de la Charité, non ? 

Qu'il balaye un peu devant sa porte, le Docteur, avant de nous dire fais pas ci, fais pas ça, patati, patata. 
 



Finalement, être malade, pour un Docteur, c'est perdre sa légitimité.

Un bon Docteur, il est en bonne santé. Point.