samedi 20 juillet 2013

Au bonheur des larmes

J'aime faire pleurer mes patients.
Ne vous méprenez pas ; je n'ai rien d'une chipie des cours de récré, qui s'amuse à tirer les couettes de ses camarades pour le plaisir de les voir verser des larmes de douleur et de dépit.
En fait, je n'aime pas spécialement faire pleurer les gens ; j'aime qu'ils s'autorisent, pendant ma consultation, à laisser couler leurs larmes.

Ce n'est pas seulement que ça ne me dérange pas, l'ouverture des vannes en ma présence ; ça me fait plaisir, vraiment.

J'en ai pris conscience récemment. C'était un jour où j'avais le temps. Un jeune homme se plaignait de maux de tête insupportables et réclamait une IRM, une prise de sang complète, une autopsie, enfin m... quoi, qu'on fasse quelque chose.
J'avais le temps, j'étais de bonne humeur, et derrière l'agressivité de sa voix, j'ai entendu cette minime fêlure qui me fait dresser l'oreille, j'ai vu le tressaillement léger de ses paupières qu'il essayait de contrôler.
Toi, mon grand, me suis-je dit, ta tête te fait souffrir parce que ça bouillonne là-dedans. Tu peux râler sur l'incompétence des médecins qui ne te soignent pas, sur l'inefficacité des médicaments qui ne te soulagent pas, ou ce que tu voudras, ça ne cachera pas le bruit des vagues qui viennent battre les falaises de tes pensées. 


Alors tranquillement, doucement, j'ai commencé mon approche de Sioux. Je comprends... Ca doit être dur pour vous... Vous êtes très en colère contre les médecins...
Petit à petit, les barrières tombent. L'agressivité diminue, la fêlure se précise, les paupières se crispent, la bouche se tortille. Le barrage commence à céder, ses yeux se remplissent doucement d'eau, prémices de la marée qui monte.
Et enfin, la déferlante. Des gros bouillons qui se fracassent dans sa gorge, ça fait mal au passage des cordes vocales, ses joues ruissellent. J'avoue, j'ai quasiment oublié ce qui est sorti en même temps que ses larmes. Son père, qui le traite comme un moins que rien, son travail, qui ne lui plaît pas, je ne sais plus. Noyé dans les sanglots, ce n'était pas le plus important.

Le plus important, c'était ce relâchement, cet abandon, dans lequel il a pu se retrouver, lui. 


Après ces larmes, la consultation était comme un ciel bleu après la pluie. Encore des plics plocs en arrière fond, une bonne odeur de terre mouillée, et cette timide promesse du beau temps revenu.
Oublié la biopsie transcrânienne. Je ne suis même pas sûre qu'il soit reparti avec une ordonnance de Doliprane.

 
J'aime faire pleurer les gens, car je crois au pouvoir thérapeutique des larmes.

Notre société semble porter aux nues l'expression de ses émotions, mais je crois que c'est un leurre. 



Les émotions, oui, mais de magazine, s'il vous plaît. 

Celles qui passent bien sur Facebook. 

Les larmes qui ravagent le mascara, la morve qui déborde du nez, le physique de lapin myxoemateux après la crise, non merci.






 
Ma façon à moi d'autoriser les larmes, c'est d'avoir une boîte de mouchoir sur mon bureau. Quand ça commence à couler, je la pousse vaguement vers le patient, ma manière de dire : »allez-y, je suis équipée, c'est prévu au programme ».

Peut-être cela vient-il de mes origines normandes... Rien de plus beau qu'une plage lissée par la marée, qu'un ciel lavé par une averse, qu'un vent qui déchaîne les vagues.


Un peu d'embruns pendant ma consultation, c'est aussi une façon de soigner...

Et vous, où avez-vous le droit de pleurer ? 







2 commentaires:

  1. Comme cet article me parle, moi qui ai tant attendu mes larmes en thérapie, 4 ans avec ces larmes enfermées, avant qu'elles sortent un peu, puis depuis 2 mois beaucoup...
    Merci pour vos patients , je n'ai pas trop cette possibilité chez le doc.

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  2. Joli récit d'un médecin attentif à ses patients... Et à cette souffrance implicite qui n'avait pas encore trouvé de lieu pour s'exprimer vraiment :)
    Bonne continuation !

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