mercredi 19 février 2014

Ô temps suspends ton vol






Un médecin généraliste constate en pleine nuit qu'une canalisation a explosé dans sa cave, et que celle-ci se remplit d'eau. Il appelle alors un plombier, qui lui répond qu'il passera le lendemain.

Le médecin rétorque que le problème est urgent, et que lorsque lui-même est appelé dans la nuit pour un problème médical, il se déplace. 
Le plombier accepte finalement de venir, et descend avec le médecin à la cave, dans laquelle on commence à patauger. 
 
Il jette alors 2 joints en caoutchouc dans l'eau, et dis au médecin : « si ça ne va pas mieux demain, rappelez-moi ».





Quand on m'a raconté cette blague, j'ai rigolé. Certes, je suis bon public, mais c'est aussi une bonne blague ; c'est vrai qu'on fait souvent comme ça, nous, les généralistes : deux Doliprane, et si ça ne s'arrange pas, revenez me voir.

En tous cas, c'est ce qu'on voit de l'extérieur. En réalité, même quant vous repartez avec deux Doliprane-et-si-ça-ne-s'arrange-pas-revenez-me-voir, il se passe des choses beaucoup plus complexes.

Mais que se passe-t-il donc chez le Docteur, quand il y a une fuite à la cave ?

Déjà, on fait un diagnostic. Alors oui, ça ne change pas grand chose, au final, de savoir que votre abominable schnouffite, c'est une rhinite et une trachéite, mais tout de même, moi, je trouve que de connaître son petit nom, ça aide à la supporter, cette abominable schnouffite,

En plus du diagnostic, on donne une perspective de guérison : une gastro en général c'est 48h, un rhume, une dizaine de jours, un mal de dos entre 1 et 6 semaines. De savoir que le bout du tunnel n'est peut-être pas si loin, ça rend plus facile la traversée dudit tunnel.

Puis on vous prescrit des médicaments symptomatiques – une fois sur deux, c'est du Paracétamol, l'autre fois sur deux, c'est une petit panel sélectionné parmi une trentaine de médicaments, pas plus. Ce n'est pas parce qu'on ne peut pas vous guérir plus vite qu'on ne peut pas rendre vos problèmes plus supportables.

Ne jamais sous-estimer le pouvoir du Paracétamol.

Et puis... « Et si ça ne passe pas, revenez me voir. »

On dit ça, à la fin. Et si ça passe pas, revenez me voir. Ça sonne un peu comme un formule de politesse, ou un rituel, comme le « et ce sera touuuuuuuuuuuuuuuut ? » de la boulangère.
Or, la boulangère, elle veut vraiment savoir si ce sera tout, ou si elle rajoute encore un pain au chocolat. Nous, c'est pareil : VRAIMENT, si ça ne va pas mieux, il faut revenir nous voir.

Mais pourquoi donc ? Pourquoi ne pas aller voir un autre médecin, puisque manifestement, nous avons échoué ? Suspense, roulement de tambour...


 

Parce qu'en médecine, un des symptômes les plus importants, c'est le temps

Malheureusement, les patients l'ignorent, et je vais vous avouer un truc : certains médecins aussi.






Petite illustration, pour vous rendre cette histoire de temps-symptôme plus vivante (rien de tel qu'un bon vomi pour se mettre dans l'ambiance) :

« Je vomis depuis ce matin, et j'ai la diarrhée aussi » : à 99% c'est une gastro de base, celle de la boulangère, qui a tripoté votre pain au chocolat.
« Je vomis depuis 2 semaines, et j'ai la diarrhée aussi » : à 99%, la boulangère n'y est pour rien, ce n'est pas une gastro de base, et je ne peux pas vous dire comme ça ce que c'est, parce que ça demande de réunir beaucoup plus d'éléments.

Voilà, une phrase, deux durées, et mon arbre décisionnel part dans deux directions complètement opposées. Vous commencez à saisir, mon histoire de temps-symptôme ?
Le caca mou (la fuite à la cave, dit de façon plus poétique), c'est un symptôme.
Depuis combien de temps le caca est mou, c'est aussi un symptôme.

Si votre caca est mou depuis ce matin, avec du vomito en prime, on va partir sur : vérification de quelques points clés histoire de pas passer à côté d'un truc grave et urgent puis topo gastro : diagnostic (gastro), perspective de guérison (vous êtes partis pour 48h environ), traitement symptomatique (dodo, repos, eau et anti-vomito éventuellement), « et si ça ne va pas mieux, revenez me voir ».

Si votre caca est mou depuis 10 jours, je ne vais pas non plus déclencher le plan ORSEC – il y a des gastro qui durent 10 jours – mais je vais fouiller un peu plus. Je ne vais pas non plus pratiquer une autopsie du cerveau à ciel ouvert pour voir si ce ne serait pas une amylose de la tige pituitaire par hasard, mais je vais vous poser plein plein de question, éventuellement demander des examens complémentaires.
 
 Et on va se laisser un peu le temps.

 
Parce que le temps est non seulement un symptôme de compèt', mais c'est aussi un traitement de compèt'. 

C'est à dire que pendant le temps où on cherche tranquillement, si ça se trouve, votre caca va arrêter d'être mou, tout rentrera dans l'ordre et hasta la vista. 

Mais je te sens frémir, patient, je sens tes doigts trembler de l'envie d'écrire un commentaire lapidaire, expliquant que tu souffres d'une amylose de la tige pituitaire, et que si ton médecin ne t'avais pas fait poireauter comme ça en te disant que c'était sûrement une gastro (et si ça ne s'arrange pas, revenez me voir), puis en te faisant des examens, et puis encore d'autres, et encore d'autres, jusqu'à cette fameuse autopsie du cerveau à ciel ouvert 3 mois plus tard, qui a révélé une amylose de la tige pituitaire, et bien s'il ne t'avait pas fait poireauter, et bien...



Et bien d'une part, rien du tout, car il n'y a pas de traitement pour l'amylose de la tige pituitaire.
D'autre part, si ce brave médecin faisait des autopsies du cerveau à tous ses patients à caca mou, il se retrouverait avec tout plein de gens malades. 

 
Admettons, l'autopsie, c'est peut-être un peu too much. Mais une petite prise de sang, par exemple ? Ca ne mange pas de pain, une petite prise de sang. Ou alors une écho, allez, on n'est pas difficile.
Parce que prescrire juste comme ça « Sainte Patience, priez pour lui », c'est un peu limite, non ?

Ha... Pourquoi préférer Sainte Patience à la modernité technique ?
Allez, on y est presque...

Ce que vous ignorez, c'est que bien caché dans votre corps, il y a plein de choses anormales. Anormales, ça signifie que vous ne rentrez pas dans les cases. Par exemple, la normalité c'est de savoir marcher vers 15 mois. Mais vous connaissez tous des gens qui ont su marcher vers 9 mois, ou bien vers 24 mois – quelques années plus tard, aucune différence avec les autres enfants.
Pas dans la norme, mais normaux...

Et bien votre prise de sang, c'est pareil, elle va révéler plein de trucs anormaux. Qui ne veulent pas dire grand chose, et qu'on ne cherchait pas. Mais maintenant qu'on les a trouvés... vous voilà devenu anormal. Malade.

Votre gastro est bel et bien passée en 2 jours, mais vous voilà avec une « calcémie limite » ou un « kyste hépatique », qui va vous coller aux basques pendant quelques temps. Le savoir ne vous fera pas vivre plus vieux, ni en meilleure forme. Au contraire, vous vivrez aussi longtemps, mais plus malade. Avec un peu de malchance, vous souffrirez d'un effet secondaire grave lors d'un examen supplémentaire.
Par exemple, vous ferez une réaction allergique grave lors du scanner qu'on fera pour « préciser ce kyste ». Peut-être vous en mourrez.




Mais là, personne ne dira « aurait-il attendu un peu, ce médecin, avant de se précipiter à faire une écho ». On pensera que c'est la fatalité, la faute à pas de chance.

Le médecin ne sera jamais récompensé de savoir attendre, et pourtant, c'est essentiel. 


 J'espère, Patient, que tu auras compris pourquoi, et que la prochaine fois que tu iras chez le médecin, tu seras... patient.





















 

4 commentaires:

  1. Il me semble qu'effectivement le patient vient avec un symptôme qui sous tend deux questions : Qu'est-ce que c'est? Et : c'est grave?

    Le médecin, lui, fait une réponse assez fiable à la 2e question : ça n'a pas l'air grave; moins fiable à la première : "une gastro quoi…" mais pour faire cela il peut où non s'entourer d'éléments de prédiction.

    D'abord il pose des questions sur la vie des gens et leur histoire, comme une voyante, puis il impose les mains et le regard de ci de là avec des rituels (orl, neuro, cardio, articulaire, palpation par quadrant, etc.) et là il sait déjà intuitivement à 99% si c'est grave. Les 1% qui restent, il peut demander des "examens complémentaires" : les gens aiment bien. C'est technique donc fiable. ça répond positif ou négatif : cool. Mort ou vif.

    Mais en fait non, c'est un examen COMPLEMENTAIRE : comprendre facultatif parce que source de plein de soucis autant que de solution. C'est une boite de Pandore à nous.

    Prenons la NF plaquettes , numération formule des globules et plaquettes, il y en a bien une sur deux de pas "normale" : la petite astérisque là. Globules un chouïa trop petit, trop gros ou 100.000 plaquettes en trop ou en manque. Le médecin s'asseoit dessus car il sait que les normes indiquées sont stupides.

    Prenons les auto-anticorps anti-thyroïdiens, ça le fait. Tout le monde en a. Le taux inférieur à la norme, c'est la norme. Le taux super élevé, c'est une maladie, sûrement. Le taux un chouïa élevé c'est… la mouise. Le patient se sent alors malade, il se renseigne sur la thyroïde extrapole, se trouve des trucs qu'il avait pas en parle à son médecin qui se dit que quand même oui c'est bizarre et ça ressemble à ce que lui aussi à lu sur le même site Internet sur la thyroïde et d'un commun accord il met la pression à son ancien chef de clinique devenu chir libéral qui lui dit que bof non la thyroïde elle va bien mais que quand il voit la tête que fait son ancien interne préféré bah k il va opérer et que la thyroïde saute (et avec de la chance que elle) et que le patient est désormais officiellement malade puisqu'il n'a plus de thyroïde et doit être substitué à vie.

    Le truc rigolo c'est que le malade, si on lui redose ses Ac anti-thyroïdiens : des fois ça a disparu, des fois c'est normal.

    Les examens complémentaires c'est la boule de cristal du médecin : il y a des zones troubles alors comme le dit Alice, il est urgent d'attendre et voir.

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    1. Merci pour ce bon résumé ; il explique bien pourquoi, lorsqu'un patient veut "juste" une ordonnance de prise de sang pour un check-up complet, pour vérifier que "tout va bien", ça va "juste" être une consultation assez longue...

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  2. Le médecin, lui, fait une réponse assez fiable à la 2e question : ça n'a pas l'air grave; moins fiable à la première : "une gastro quoi…" mais pour faire cela il peut où non s'entourer d'éléments de prédiction.

    "D'abord il pose des questions sur la vie des gens et leur histoire, comme une voyante, puis il impose les mains et le regard de ci de là avec des rituels (orl, neuro, cardio, articulaire, palpation par quadrant, etc.) et là il sait déjà intuitivement à 99% si c'est grave. Les 1% qui restent, il peut demander des "examens complémentaires" : les gens aiment bien. C'est technique donc fiable. ça répond positif ou négatif : cool. Mort ou vif." Personnellement je vois que cette déclaration est très subjective. Le médecin n'est qu'un etre humain, il veut écouter le patient pour découvrir la cause de la maladie, malformations innées, accidentelles et agit d'une façon scientifique ! Chirurgie esthétique Tunisie

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